Coordination, engagement et RSE au cœur de la quête managériale du changement perpétuel
Cahiers de Recherche PRISM-Sorbonne
Pôle de Recherche Interdisciplinaire en Sciences du Management
Coordination, engagement et RSE au cœur de la quête managériale du changement perpétuel
Odile Uzan Maître de Conférences, CEDAG (EA 1516), Université Paris Descartes Bérangère Condomines Doctorante, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, PRISM-Sorbonne
CR-10-13
PRISM-Sorbonne Pôle de Recherche Interdisciplinaire en Sciences du Management UFR de Gestion et Economie d’Entreprise – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne 17, rue de la Sorbonne - 75231 Paris Cedex 05 http://prism.univ-paris1.fr/
Cahiers de Recherche PRISM-Sorbonne 10-13
Coordination, engagement et RSE au cœur de la quête managériale du changement perpétuel
Odile Uzan1 Bérangère Condomines2
Résumé Les entreprises du XXIème siècle recherchent le changement organisationnel permanent en réalisant, selon notre hypothèse, des économies de coordination managériale en termes de persuasion et en déléguant aux salariés le soin de s’autoréguler face au changement. La question est alors de savoir quel type de conciliation s’opère entre les économies de coordination managériale, les ressources de l’engagement salarial et les risques de dissonances cognitives générées par ces pratiques managériales dans un contexte de « quête d’adaptabilité permanente » à un environnement mondialisé et changeant. Cette hypothèse nous paraît particulièrement pertinente dans le mode d’intégration de la dimension RSE/DD par les entreprises, en partie fondé sur l’engagement des salariés. Nous l’avons élaborée à la confluence de trois champs théoriques : celui du changement organisationnel, de la coordination managériale et de l’engagement des salariés. Au plan méthodologique, nous avons modélisé notre hypothèse avant de la tester sur un corpus relatif aux pratiques développées par les entreprises en matière de RSE/DD, telles qu’elles sont évoquées dans leurs rapports d’activité publiées en 2007, 2008 et 2009. Mots clés Coordination, Engagement, Changement et Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE).
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Maître de Conférences, CEDAG (EA 1516), Université Paris Descartes : odile.uzan@parisdescartes.fr Doctorante, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, PRISM-Sorbonne : berangere.condomines@univ-paris1.fr
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INTRODUCTION
Notre hypothèse dans le cadre de cette communication1 est la suivante : les entreprises du XXIe siècle recherchent le changement organisationnel permanent en réalisant des économies de coordination managériale en termes de persuasion et en déléguant aux salariés le soin de s’autoréguler face au changement. La question est alors de savoir quel type de conciliation s’opère entre les économies de coordination managériale, les ressources de l’engagement salarial et les risques de dissonances cognitives générées par ces pratiques managériales en « quête d’adaptabilité permanente » à un environnement mondialisé et changeant. Cette hypothèse se révèle, selon nos observations empiriques (Uzan, 2009), particulièrement pertinente dans le mode d’intégration de la dimension RSE/DD par les entreprises, en partie fondé sur l’engagement des salariés. Nous l’avons élaborée à la confluence de trois champs théoriques : celui du changement organisationnel, de la coordination managériale et de l’engagement des salariés. L’environnement globalisé auquel sont confrontées les entreprises du XXIe siècle, plus volatile que jamais, les oblige à relever de nombreux nouveaux défis parmi lesquels la « quête de l’adaptabilité permanente » (Hamel, 2008). Ainsi, le changement organisationnel n’est plus, comme au XIXe siècle, voire au XXe, un moment exceptionnel dans la vie de l’entreprise ; il lui devient consubstantiel. Il se définit désormais comme un processus durable et dynamique co-construit dans les interactions des actions et de la structure (Giddens, 1987 ; Savall, Zardet et Bonnet 2000 ; Bayad et Schmitt, 2003). Cette adaptabilité organisationnelle nécessite, selon certains auteurs, « une structure plate comme la main, radicalement décentralisée » (Hamel, 2008) et engendre la disparition progressive de la « main visible » (Chandler, 1988) de la coordination managériale qui, désormais, laisse place à une « main évanescente » : à chaque problème productif rencontré correspond une configuration provisoire réunissant des acteurs différents selon chacun des projets (Langlois, 2003). La coordination managériale qui est d’abord le fait des seuls managers, intègre progressivement la hiérarchie intermédiaire (Autissier et Vandangeon– Derumez, 2004) puis l’ensemble des acteurs co-constructeurs du changement organisationnel (Weick, 1979 ; Weick et Quinn, 1999). Alors qu’elle s’exerce d’abord sur un mode à la fois autoritaire et normatif (Barnard, 1938 ; Simon, 1983 ; Mintzberg, 1989), elle cherche à s’exercer désormais au travers de l’engagement volontaire des salariés. Kiesler et Sakamura (1966) définissent l’engagement (p.349) comme « ce qui pourra être pris dans le sens de ce qui lie l’individu à ses actes » ; il ne «ne serait rien d’autre qu’une forme d’auto-attribution causale interne » (Kiesler 1971, p. 56). Ainsi, les individus sont plus ou moins engagés dans un comportement et disposent de marges de liberté pour faire varier leurs comportements. Dès lors, plutôt que d’user de la persuasion pour obtenir le consentement des salariés et la modification de leur comportement dans le sens du changement attendu, les managers ont intérêt à les mettre en situation d’action en leur déléguant le soin d’ajuster leur attitude, leur comportement (Festinger, 1957) et leur engagement dans la situation (Kiesler et Sakumura, 1966) à transformer. Au plan méthodologique, nous avons procédé en deux temps : nous modélisons d’abord les relations entre coordination, changement et engagement afin d’opérationnaliser notre
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Communication acceptée au Congrès de l’ISEOR/AOM - Academy of Management, Division Organizational Development and Change. Lyon les 14, 15 et 16 juin 2010.
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hypothèse ; nous la testons ensuite sur un corpus relatif aux pratiques développées par les entreprises en matière de RSE/DD, telles qu’elles sont évoquées dans leurs rapports d’activité publiées en 2007, 2008 et 2009. Nous avons adopté un plan en deux parties : dans la première, nous présentons la modélisation de notre hypothèse ; dans la seconde, nous exposons et discutons les résultats du test de validation réalisé.
PREMIÈRE PARTIE : MODÉLISATION DE LA COORDINATION MANAGÉRIALE FONDÉE SUR L’ENGAGEMENT DES SALARIÉS
1.1 COORDINATION MANAGÉRIALE ET CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
La relation entre coordination managériale et changement organisationnel est évolutive dans le temps, au regard d’un environnement externe lui-même évolutif, plus global et complexe : alors que la coordination managériale vise principalement à la fin du XIXe siècle la statique organisationnelle ; elle participe au XXe de la dynamique organisationnelle pour aujourd’hui se focaliser sur la transformation organisationnelle. Cette relation évolue également au regard d’un environnement interne, lui-même évolutif : alors que la coordination managériale du pilotage de l’organisation est d’abord le fait des seuls managers, elle intègre progressivement la hiérarchie intermédiaire (Autissier et Vandangeon–Derumez, 2004) puis l’ensemble des acteurs co-constructeurs du changement organisationnel (Weick, 1979 ; Weick et Quinn, 1999). Coordination managériale et statique organisationnelle : la recherche de l’équilibre et de l’harmonie Les théoriciens du management de l’entreprise abordent pour la plupart la question de la coordination managériale sous l’angle du choix des mécanismes de coordination les plus appropriés à un type d’organisation, en fonction de ses particularités internes ou externes (Lawrence et Lorsh, 1994 ; Mintzberg, 1990). C’est donc dans une perspective principalement statique des organisations que se définit la coordination managériale, perspective qui convient bien à la stabilité environnementale des entreprises de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. De plus, ces théoriciens abordent la coordination, de manière réductionniste (Uzan et Accard, 2004), selon les conceptions qu’ils ont de l’organisation, plus précisément selon l’importance qu’ils accordent à la totalité sociale que constitue l’organisation (Fayol, Barnard, Lawrence et Lorsh, Mintzberg) ou aux acteurs qui y évoluent (Taylor, Simon). Une conception « organiciste » de la coordination valorise les aspects liés à la normativité et à la temporalité tandis qu’une conception « individualiste » insiste davantage sur la rationalité des acteurs. Ainsi, le concept se définit à partir de quatre dimensions théoriques liées à l’autorité, la rationalité, la normativité et la temporalité (Uzan et Accard, 2002) ; l’activité de coordination managériale a pour principal objet, la recherche de l’équilibre et de l’harmonie organisationnels ; elle participe de l’activité des seuls managers. Coordination managériale et dynamique organisationnelle : un processus durable résultant de l’intégration des actions aux structures Au fur et à mesure des changements intervenant dans la relation Organisation/Environnement, la conception du changement organisationnel évolue progressivement : il est appréhendé comme un construit social contingent qui admet des marges de liberté aux acteurs, et un processus durable et dynamique co-construit dans les interactions des actions et de la
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structure (Giddens, 1987 ; Savall, Zardet et Bonnet 2000 ; Bayad et Schmitt, 2003). Dès lors, l’activité de coordination des managers s’inscrit elle-même dans une perspective à la fois dynamique et complexe (Uzan et Accard, 2004 p. 38) : « la coordination managériale est une activité des managers qui institue des structures traduisant leurs intérêts et leurs valeurs et qui habilitent et contraignent dans le temps et l’espace tant les activités des autres agents de l’organisation que leur propre activité de coordination ». Dans le cadre de cette définition, la coordination managériale est source de dynamique organisationnelle, entendue ici comme un processus durable et continu de structuration organisationnelle par lequel, en combinant les acteurs aux structures, l’organisation s’adapte à son environnement. Coordination managériale et transformation organisationnelle : un construit social contingent qui admet des marges de liberté aux acteurs Désormais, la relation entre la coordination managériale et le changement organisationnel s’analyse en termes de transformation continue de l’organisation. Le manager devient un « leader transformationnel » qui transforme l’organisation en un processus d’actions et de décisions caractérisé par les interactions entre des « sujets agissants » et les autres processus de fonctionnement (Maggi, 2003). Dans le cadre de ces interactions, de nouveaux comportements des salariés sont pris en compte, comme leur autonomie et le contrôle réflexif de leurs activités. Cette perspective interactionnelle est particulièrement féconde pour analyser le « management transversal » (Tarondeau et Wright, 1995) ou « le management par les processus » (Lorino, 1995) des organisations. Ces formes d’organisation se caractérisent par le déploiement de processus transverses définis comme des suites d’activités interreliées (Hammer et Champy, 1993) susceptibles de produire de nouvelles sources de valeur et d’avantages concurrentiels. Ce faisant, dans un environnement concurrentiel renouvelé, elles amènent le corps des managers à se différencier (Lawrence et Lorsh, 1994). Les managers en charge des processus transversaux « interagissent » alors nécessairement avec ceux alignés hiérarchiquement. L’interaction apparaît alors comme le procédé privilégié de structuration dynamique de l’organisation par lequel des pratiques, des règles et des ressources managériales nouvelles s’instituent (Uzan et Petit, 2003). La direction « sélectionne » et « légalise », parmi ces pratiques émergentes, celles qui renforcent la coordination des activités dans le sens qu’elle en attend. Le processus de coordination de la transformation organisationnelle s’effectue ainsi sur le mode évolutionniste : variation/sélection : variation des activités et des comportements et sélection par la hiérarchie (Uzan et Petit, 2003). Ainsi, quand la coordination hiérarchique ne permet plus de produire les conditions du renouvellement organisationnel, la mise en œuvre conjointe d’une coordination interactionnelle favorise cette transformation. Mais ce mode de coordination du changement organisationnel fondé sur le « Learning by Doing » génère un coût humain important : certains salariés exposés à de telles interactions éprouvent une forme de « dissonance cognitive » (Festinger, 1957) qui ne parvient pas à se dissoudre au cours du déploiement de l’interaction ; des conflits ont lieu ainsi que des départs de certains salariés de ce dispositif interactionnel (Uzan et Petit, 2003). D’une manière générale, la coordination transformationnelle fondée sur l’engagement dans l’action des salariés renouvelle la question de l’enrôlement des salariés dans cette transformation : il s’agit moins d’étudier les mécanismes de « résistance » au changement à l’œuvre que de se focaliser sur les processus cognitifs de l’engagement des salariés à la transformation continue des organisations de ce siècle. Dans cette optique, une théorisation de l’engagement (Kiesler et Sakumura, 1966 ; Joule et Beauvois, 1998) des salariés devient souhaitable.
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1.2. UNE ÉCONOMIE DE LA COORDINATION : LES RESSOURCES DE L’ENGAGEMENT Les ressources de l’engagement Selon Kiesler (1971, p. 56) « l’engagement ne serait rien d’autre qu’une forme d’autoattribution causale interne (auto-attribution de traits, de dispositions, etc.) ». Dès lors, les individus sont plus ou moins engagés dans un comportement et disposent alors de marges de liberté pour faire varier leurs comportements. Kiesler et Sakamura définissent l’engagement (1966, p.349) comme « ce qui pourra être pris dans le sens de ce qui lie l’individu à ses actes ». Ainsi, ces auteurs attribuent un caractère principalement interne à l’engagement. Ils précisent cependant que l’individu peut être engagé à des degrés divers et que le degré d’engagement varie selon la situation et le contexte dans lequel le comportement a été émis. Ils font du caractère de liberté perçu par l’individu dans la production de son comportement, le principal facteur conditionnant l’engagement dans la situation. Par ailleurs, ces auteurs, en étudiant les effets d’un engagement faible ou fort sur les attitudes, démontrent notamment (Girandola, 2003) que plus la récompense est faible pour réaliser un acte consistant avec l’attitude, plus grande est la résistance aux attaques ultérieures liées à cette attitude. Ainsi, le degré d’engagement est inversement proportionnel au montant de la récompense : moins un individu est payé pour réaliser un comportement allant dans le sens de l’une de ses attitudes plus grande sera sa résistance à l’attaque ultérieure de cette attitude. Joule et Beauvois (1998,) dans la continuité des travaux de Kiesler et Sakumura, approfondissent la dimension externe de l’engagement. L’engagement résulte selon eux (p. 60) de la situation et « correspond, dans une situation donnée, aux conditions dans lesquelles la réalisation d’un acte ne peut être imputable qu’à celui qui l’a réalisé ». Ils confirment le fait que le contexte de liberté serait un des principaux facteurs de l’engagement et proposent deux autres types de variables contextuelles favorisant l’engagement de la personne dans la situation : d’une part, la visibilité et l’importance de l’acte (le caractère public de l’acte et son caractère explicite, son irrévocabilité, sa répétition, ses conséquences et son coût) ; d’autre part, les raisons de l’acte d’ordre externe (promesses de récompenses, menaces de punition) et d’ordre interne (valeurs personnelles et traits de personnalité). Ces auteurs, notamment Joule (2001), déterminent sur le mode normatif quelques principes d’actions (Girandola, 2003) susceptibles d’optimiser certaines pratiques managériales. Ainsi, le manager doit obtenir des actes des salariés plutôt que de tenter de les convaincre, ces actes étant susceptibles de les prédisposer à faire ce qu’on attend d’eux. Les managers ne doivent récompenser les salariés que de façon exceptionnelle car une récompense systématique ne leur permettrait plus de s’imputer pleinement la responsabilité de leur comportement et peut même les démotiver (Lepper, Greene et Nisbett, 1973 ; Greene, Sternberg et Lepper, 1976). Récompenser un comportement non problématique reviendrait à le sur-justifier. Le manager ne doit jamais prendre une décision sans se donner les moyens de la concrétiser ; une décision a d’autant plus de chances d’être tenue qu’elle est précédée par un acte préparatoire coûteux et que sa visibilité sociale est grande. Enfin pour modéliser la coordination transformationnelle fondée sur l’engagement des salariés, il est utile de coupler cette théorie de l’engagement avec la théorie de la dissonance cognitive (Festinger, 1957). Selon Moscovici, cette théorie s’inscrit dans les théories psychosociales dites opératoires qui tendent à dégager des mécanismes explicatifs et prédictifs. La théorie de Festinger relève d’un mécanisme élémentaire qui permet d’expliquer de nombreux phénomènes de changements d’attitudes et de comportements. Selon cette théorie, (Moscovici, 1984 p.15) : « Lorsqu’une
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personne dispose à propos d’un objet social de deux cognitions ou de deux représentations qui s’accordent entre elles, il y a consonance et la personne en éprouve de la satisfaction. Par contre, si elle dispose de deux cognitions qui ne s’accordent pas, voire même qui s’opposent, il y a alors dissonance et la personne est alors en proie à l’anxiété. Festinger a soutenu que les gens sont alors incités à résorber l’état de dissonance cognitive qui les inquiète et les perturbe. » L’individu va chercher à réduire son état de dissonance de deux façons : soit en changeant de comportement et en cherchant une autre situation; soit en changeant de cognitions en modifiant ses idées sur la situation. Ces deux modes de changement ont pour effet la recherche de la consonance cognitive et l’état de satisfaction. Dans le cadre de notre projet de modéliser la coordination transformationnelle fondée sur l’engagement des salariés, on retient du couplage de ces deux théories, les éléments suivants : il s’agit moins de persuader les salariés de l’intérêt du changement que de les mettre en situation d’action ; mis dans la situation d’action, le salarié, à la recherche d’un état satisfaisant de consonance cognitive, va réguler de lui-même son attitude et son comportement à la situation ; son engagement sera d’autant plus certain que les conditions contextuelles de son engagement sont réunies, en particulier, celle de la perception de sa liberté ; plus l’engagement du salarié est fort, plus les systèmes de récompenses/sanctions doivent être modulés. A ce niveau du cheminement de notre réflexion, une question s’impose : celle de l’articulation de la théorie de l’engagement aux théories de la motivation et de l’implication (Neveu et Thévenet, 2002 ; Charles-Pauvers et Commeiras, 2002). Cette question suppose des recherches spécifiques que nous ne développerons pas ici, préférant suspendre notre jugement sur ce point. Cependant, de manière contingente, nous avons inclus la théorie de besoins de Maslow dans notre modélisation de la coordination fondée sur l’engagement des salariés. En effet, dans le cadre du changement organisationnel impulsé par la prise en compte des dimensions RSE/DD, nous avons considéré, par hypothèse, que la mise en situation d’un salarié lui permettant de satisfaire son besoin de réalisation, (pyramide de Maslow), renforce son état de consonance cognitive et, partant, favorise son engagement dans la situation.
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SCHEMA 1 : L’engagement des salariés dans la transformation de l’organisation au regard de la RSE
DISSONANCE
CHANGEMENT ATTITUDE & COMPORTEMENT
EXIT (HIRSCHMANN)
MISE DANS UNE SITUATION RSE DU SALARIÉ CONSONANCE
MASLOW
-
Accomplissement de soi
KIESLER Le caractère de liberté perçu par l’individu
ENGAGEMENT
JOULE&BEAUVOIS - Le contexte de liberté dans lequel l’acte est réalisé - Le caractère public de l’acte - Le caractère explicite de l’acte - L’irrévocabilité de l’acte - La répétition de l’acte - Les conséquences de l’acte - Le Coût de l’acte - Les raisons de l’acte
INTEGRATION RSE DANS L’ORGANISATION
COORDINATION MANAGERIALE PAR VARIATION ET SELECTION
TRANSFORMATION DE LA SITUATION
Pour prendre en compte la RSE, certaines entreprises développent des actions de mécénat qui génèrent deux types de comportement de leurs salariés : - des salariés en état de dissonance cognitive, modifient leurs idées sur la question pour revenir à un état de consonance leur permettant de s’engager dans ces actions de mécénat ; certains salariés demeurant en état de dissonance, se mettent en retrait du processus de transformation en cours (Hirschman, 1974) ; - des salariés en état de consonance cognitive, s’engagent, souvent volontairement, dans les actions de mécénat développées par leurs entreprises. Leur engagement est d’autant plus fort qu’il est libre et volontaire et qu’il leur permet de se réaliser ; il varie selon les variables contextuelles mises en œuvre. Les salariés engagés dans l’action transforment le fonctionnement de l’organisation. Cette activité transformationnelle des salariés est coordonnée au plan managérial sur le mode darwinien de la variation-sélection (Uzan et Petit, 2003) : le management sélectionne les transformations allant dans le sens du but recherché, la prise en compte de la RSE/DD dans le fonctionnement de l’entreprise. De nouvelles situations se structurent et s’instituent, renforçant l’engagement des uns et plongeant les autres dans le dilemme de l’engagement. Quoiqu’il en soit, une dynamique transformationnelle est mise en place dont il convient d’analyser l’économie, notamment en matière de coordination managériale. Une économie de coordination managériale Nous avons mis en évidence le fait que la coordination managériale se définit au travers de quatre dimensions : l’autorité, la rationalité, la normativité et la temporalité (Uzan et Accard,
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2002). Dans le cadre d’une coordination fondée sur l’engagement des salariés, une économie sur ces quatre dimensions nous paraît pouvoir être réalisée. Au niveau de l’autorité, une économie peut être réalisée, l’engagement des salariés s’effectuant dans des conditions de liberté, plus précisément de volontariat. Les salariés décident librement de s’engager dans les situations qui leur sont proposées, sans coercition ni utilisation par leur supérieur de son pouvoir hiérarchique. Au niveau de la rationalité, le manager n’a plus à faire l’effort de produire du sens pour le salarié afin de le convaincre du bien-fondé du changement souhaité. Dans le cadre d’une coordination fondée sur l’engagement des salariés, c’est le salarié lui-même qui modifie son attitude et son comportement pour se maintenir ou retrouver un état de consonance cognitif, source pour lui de satisfaction. Il y aurait ainsi économie de l’action managériale en matière de persuasion des salariés à s’engager dans la transformation organisationnelle. Les mécanismes de coordination sont, pour la plupart, fondés sur l’instauration de normes (relatives aux procédés, résultats et compétences) devant être internalisées par le salarié pour produire le comportement productif attendu. Dans le cadre de la coordination fondée sur l’engagement des salariés, il n’est plus nécessaire, voire contre-indiqué, de produire ces normes, externes au salarié, ce dernier s’auto-attribuant les dispositions qui vont lui servir de références à son engagement dans l’action. Une économie de coordination managériale peut être réalisée en termes d’actions de sensibilisations et de communications accompagnant le changement organisationnel. Enfin, la coordination managériale est une activité des managers qui se déploie dans le temps et l’espace pour instituer des structures qui habilitent et contraignent les activités des salariés de l’organisation. Une coordination fondée sur l’engagement joue plutôt sur l’effet d’immédiateté de l’engagement et sa durabilité. L’individu engagé maintient son engagement tant que la situation maintient son état de consonance cognitif, voire le renforce. Le déploiement temporel de l’engagement du salarié dans la transformation organisationnelle est ainsi délégué au salarié lui-même. Il semble ainsi que la coordination fondée sur les ressources de l’engagement des salariés permettrait de réaliser une économie d’activité des managers sur les quatre dimensions constitutives de la coordination managériale, cette activité étant prise en charge par les salariés eux-mêmes. C’est cette modélisation de la coordination fondée sur les ressources de l’engagement que nous allons à présent tester en l’appliquant aux actions de mécénat mises en œuvre par les entreprises du CAC 40, développées dans leurs trois derniers rapports annuels RSE/DD (2007, 2008, 2009).
DEUXIÈME PARTIE : ANALYSE DES PRATIQUES DE MÉCÉNAT DANS LES RAPPORTS RSE/DD DES ENTREPRISES DU CAC 40 L’analyse des rapports de DD des entreprises du CAC 40 met en évidence le fait que certaines entreprises évoquent des actions de mécénat ou de volontariat en matière de politique RSE/DD. Afin de tester la modélisation de notre hypothèse, nous avons dépouillé les 40 rapports DD/RSE des exercices 2007, 2008, 2009 (seul France Télécom a publié son rapport 2009) : vingt entreprises développent des actions de mécénat au titre de la RSE/DD au cours de ces trois années. Afin de travailler sur une base homogène de données, nous n’avons pas pris en compte d’autres sources d’informations (ainsi, par exemple, alors que le Groupe
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Renault a créé une Fondation d’entreprise, cette information n’apparaissant pas dans les rapports DD étudiés, nous ne l’avons pas intégrée à notre collecte de données). 2.1. LES ACTIVITÉS ENGAGEANTES Les structures de l’engagement Les entreprises créent des structures pour encadrer, rationaliser et donner de la visibilité à leurs actions de mécénat. Il s’agit le plus souvent de fondations d’entreprises : 10 entreprises sur les 20 étudiées ont créé leur fondation d’entreprise. Ainsi, la fondation ALCATELLUCENT pilote les programmes de volontariat des salariés tandis que la fondation SFR procure « un cadre fédérateur à l’engagement des collaborateurs ». D’autres entreprises mettent en place un comité dédié à leurs activités de mécénat. BOUYGUES créé en 2001 un « Comité de l’Ethique et du Mécénat », ayant pour objet de définir les règles ou recommandations que doit suivre le Groupe en matière de mécénat. Le « Comité pour l’Éthique, l’Environnement, et le Développement Durable » de GDF-SUEZ, a pour mission de « veiller au respect des valeurs individuelles et collectives sur lesquelles GDF SUEZ fonde son action et des règles de conduite que chacun de ses collaborateurs doit appliquer ». Certaines entreprises réalisent leurs actions de mécénat dans un cadre associatif. SFR a créé depuis 2006 le statut du « collaborateur citoyen » qui permet aux salariés du groupe de s'engager au sein d'une association pendant leur temps de travail. FRANCE TELECOM compte deux associations au sein de sa fondation : une qui apporte un soutien aux personnes autistes et l’autre, Orange Solidarité, qui permet aux salariés de s’investir dans d’autres domaines de solidarité. Certaines entreprises décident de créer une Direction dédiée au traitement de leurs activités de mécénat. Ainsi chez DEXIA, la « Direction du Développement Durable et du Mécénat » traite l’ensemble des dossiers relevant de ces domaines. D’autres entreprises adoptent au contraire des structures décentralisées. Ainsi, CARREFOUR développe au travers de ses magasins, des structures dans les différents pays où le Groupe opère, France comprise. Ces structures sont dédiées à encourager et fédérer les initiatives des salariés de CARREFOUR dans leur périmètre d’action, dans le domaine de la solidarité. Les formes de l’engagement L’engagement volontaire des salariés se réfère à différents cadres d’action dont principalement, le mécénat, le congé solidaire, le volontariat et le don. Dans le cadre du « mécénat de compétences », une entreprise mécène met à disposition d’un organisme d’intérêt général qui en fait la demande les compétences d’un ou plusieurs de ses salariés volontaires. Cette mise à disposition s’effectue durant le temps de travail et représente un engagement bilatéral. Le mécénat de compétences peut prendre la forme d’une prestation de services ou d’un prêt de main d’œuvre. Dans le cadre de sa fondation d’entreprise, VEOLIA développe un mécénat de compétences « Veoliaforce » qui repose sur l’engagement des salariés : ces derniers parrainent des initiatives locales en apportant leur savoir-faire aux populations en situations d’urgence. Dans le cadre du « congé solidaire international » (loi du 4 février 1995), les salariés ayant au moins 12 mois d’ancienneté peuvent participer à une mission en dehors de la France (durée maximale de 6 mois,) pour le compte d’une association à objet humanitaire ou d’une organisation internationale (arrêté du 16 juillet 1996). Pendant la durée du congé, le contrat de travail est suspendu et à l’issue du congé, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente. Le Comité ad hoc ou la Fondation d’entreprise peuvent financer ces missions. Le Chargé de mission est volontaire,
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salarié ou bénévole. Le congé solidaire permet quant à lui de participer à des missions de courtes durées (à partir de 15 jours). En 2008, SFR compte 283 salariés engagés dans un programme de solidarité, via le congé solidaire ou le statut du collaborateur citoyen. SUEZ, a signé un accord d’entreprise sur le « forfait temps citoyenneté » : il est assimilé à du temps de travail effectif, le salarié bénéficiant d'autorisations d'absences rémunérées; 50 salariés peuvent en bénéficier chaque année. Certains salariés s’engagent volontairement dans des actions ou des projets durant leurs congés (bénévolat), en partenariat avec l’entreprise. Ainsi, PSA organise chaque année les « Trophées Solidarité » : « tous les salariés qui le souhaitent sont invités à déposer un dossier pour défendre la cause dans laquelle ils s’engagent à titre personnel (association humanitaire, de défense de l’environnement, etc.) ». BOUYGUES favorise également le volontariat en parrainant des associations dont les salariés peuvent êtres membres. Les salariés de FRANCE TELECOM peuvent donner de leurs temps libre aux deux associations de la fondation ORANGE. Les salariés d’ALCATEL-LUCENT travaillent pendant un mois sur des projets collectifs sur des thèmes qu’ils ont choisis (« International Days of Caring »). Une autre forme de mécénat salarié est le « don » d’une partie du salaire à une ONG. Ainsi, 450 collaborateurs de FRANCE TELECOM ont versé une partie de leur salaire à l’ONG Sense, pour les personnes ayant un handicap visuel ou auditif. Tableau 1 : les formes de l’engagement des salariés Formes Mécénat de compétences AIR France KLM BOUYGUES SANOFIAVENTIS VINCI VEOLIA FRANCE TELECOM GDF-SUEZ BOUYGUES Congé Solidaire international & Congé solidaire
Volontariat Bénévolat ALCATEL-LUCENT ST MICRO ELECTRONICS AXA BOUYGUES SANOFI AVENTIS VINCI ESSILOR VEOLIA CARREFOUR BOUYGUES FRANCE TELECOM PSA BOUYGUES DEXIA SCHNEIDER GDF-SUEZ FRANCE TELECOM SFR AIR France-KLM
Structures
Fondation d’entreprise
BOUYGUES SFR
Comité ad hoc Association au sein de la fondation
Parrainage d’association
SUEZ
Les domaines de l’engagement
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Les domaines d’engagement des salariés sont variables. Nous avons élaboré une typologie distinguant cinq domaines d’engagement : l’humanitaire (catastrophes naturelles, PED) ; l’action citoyenne (insertion des jeunes, exclusion des handicapés, questions relatives à l’enfance), le domaine artistique/ culturel, l’action environnementale, le développement économique. Le domaine humanitaire ou action dite de solidarité Dans certains rapports, ce domaine est étudié dans sa globalité comme KLM. Il intègre des actions relatives à un événement, une catastrophe naturelle. CARREFOUR, après avoir apporté un mécénat financier et en nature dans le cadre des inondations en Malaisie (décembre 2006), a lancé le projet de reconstruction de villages dévastés, en collaboration avec la Croix-Rouge. Ce projet est réalisé grâce à 50 employés volontaires. Ce domaine intègre également des actions en faveur des pays en développement. Depuis 2006, DANONE et l’Unicef s’unissent dans un programme d’amélioration de l’accès à l’eau potable dans certains de ces pays. Le Groupe « a proposé à ces salariés de partir pour cinq missions de courte durée dans les pays défavorisés, afin de soutenir des projets en lien avec la nutrition ou avec l'enfance ». Dans le cadre de ce « congé solidaire », le salarié met à disposition ses compétences et son temps libre ; DANONE finance « la formation préalable, le voyage et les frais de mission ». L’OREAL, en partenariat avec Planète Urgence organise des missions dans des pays d’Afrique et d’Amérique du Sud : 29 collaborateurs du Groupe se sont portés volontaires ces trois dernières années pour travailler sur plusieurs missions. VEOLIA comprend un réseau de 450 salariés volontaires pour des interventions d’urgence visant à faciliter l’accès à l’eau, réalisées en partenariat avec différents organismes (l’Unicef, Solidarités, Première Urgence, la Croix-Rouge française) et le Ministère des Affaires étrangères. Les actions dites citoyennes Ces actions citoyennes visent à apporter un soutien à des populations spécifiques. Une vingtaine de collaborateurs DELOITTE animent des ateliers en faveur des demandeurs d’emploi. ALCATEL-LUCENT, au travers de son projet «International Youth Development » se concentre sur la formation des jeunes entre 5 et 20 ans. SCHNEIDER ELECTRIC met en place la campagne « Luli 2007 » mobilisant 250 salariés volontaires pour aider les jeunes en difficulté d’insertion. Ces actions peuvent également viser des sujets de politiques sociales. AXA s’engage dans des actions de mécénat orientées prévention et éducation en soutenant les initiatives de leurs collaborateurs. Des collaborateurs volontaires de L’OREAL, participent aux Observatoires de la Diversité et de la Cohésion sociale. Le domaine artistique ou culturel Ce domaine intègre les travaux de restauration du patrimoine. En février 2009, BOUYGUES reçoit la médaille de grand mécène du ministère de la Culture pour le financement et la réalisation de travaux de restauration de nombreux patrimoines qui ont rassemblé 420 volontaires en 2008. VINCI a contribué, via un mécénat financier et de compétences, à la restauration de la Galerie des Glaces du Château de Versailles. Les actions dites environnementales Les actions sont axées sur un travail local donnant naissance aux Eco-gestes. Chez AXA UK, 12 collaborateurs volontaires sont devenus des « Champions du changement climatique ». Ils ont pour rôle de promouvoir de bonnes pratiques environnementales dans leurs entités respectives et de transmettre les éco-gestes. Les actions environnementales peuvent avoir une portée plus générale : 3500 collaborateurs BOUYGUES et VINCI se sont engagés dans le
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« Défi pour la Terre » lancé par la Fondation Nicolas Hulot. AXA Thaïlande a engagé une initiative de reforestation : depuis 2006, 50 collaborateurs volontaires, les « AXA Green Team », ont replanté plus de 1 500 jeunes mangroves. Le développement économique Les salariés de CARREFOUR Espagne, en collaboration avec la Fondation Codespa, ont participé volontairement à une mission en Equateur ayant pour objet la création de microentreprises (marketing et vente de productions agricoles). La Fondation Solidarité Carrefour Espagne a financé « le voyage et tous les frais sur place des 13 collaborateurs qui ont consacré 3 semaines de leurs vacances à ce projet ». Tableau 2 : les domaines d’engagement des salariés Domaine d’engagem ent
Humanitaire Solidarité
Citoyen
Artistique Culturel
Environnemental
Développement Economique
Structure ALCATELLUCENT AIR France KLM CARREFOUR SANOFIAVENTIS VINCI SUEZ VEOLIA FRANCE TELECOM GDF-SUEZ BNP Paribas FRANCE TELECOM ALCATELLUCENT GDF-SUEZ AXA DEXIA BOUYGUES SCHNEIDER ALCATELLUCENT VINCI GDF-SUEZ ESSILOR VEOLIA FRANCE TELECOM EDF BOUYGUES FRANCE TELECOM SFR AIR FranceKLM
Fondation d’entreprise
BOUYGUES ALCATELLUCENT VINCI GDF-SUEZ
BOUYGUES EDF ALSTOM VINCI GDF-SUEZ VEOLIA
ST MICRO ELECTRONICS CARREFOUR
Comité ad hoc Association au sein de la fondation Parrainage d’association Direction DD et Mécénat Structures dédiées à la solidarité
BOUYGUES FRANCE TELECOM
BOUYGUES GDF-SUEZ
AIR FranceKLM DEXIA
L’OREAL
CARREFOUR
DELOITTE
2.2. DISCUSSIONS DES RÉSULTATS
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Cette collecte des données sur les pratiques de mécénat des entreprises du CAC nous permet d’affiner certains aspects de notre hypothèse centrale relative à la coordination managériale fondée sur l’engagement des salariées dans une perspective transformationnelle orientée RSE. La création de situations intégrant la dimension RSE/DD Ainsi, une vingtaine d’entreprises du CAC 40 construisent des situations qui vont permettre l’engagement de leurs salariés dans l’action. Ces situations sont principalement constituées de structures organisationnelles et d’instrumentation de gestion. Les structures mises en place sont des structures traditionnellement orientées vers l’intérêt général : il s’agit de fondations d’entreprises et d’associations. Quand ces structures sont internes au Groupe et relève de l’intérêt privé, elles intègrent des personnalités extérieures et/ou coopèrent avec des ONG. Il y a donc création d’un nouveau périmètre structurel dans lequel s’interpénètrent intérêt général et intérêt privé. C’est à ce titre que les entreprises considérées inscrivent ces actions dans leur rapport RSE/DD. En ce qui concerne l’instrumentation de gestion, il s’agit principalement de dispositifs RH (modalités contractuelles de gestion des contrats, des temps et des compétences). Sans discuter ici du bien-fondé de l’assimilation de la RSE/DD aux pratiques de Mécénat (Uzan, 2009), il nous semble que notre hypothèse selon laquelle, l’entreprise crée la situation engageant le salarié dans le processus de transformation continu de l’entreprise est ainsi vérifiée. L’engagement des salariés Les salariés qui s’engagent dans ces situations le font pour la plupart dans un contexte de volontariat, c'est-à-dire avec un fort caractère de liberté perçu dans la production de leur comportement. Ainsi, le principal facteur conditionnant l’engagement dans la situation est fortement présent dans la situation engageante. On peut également penser, du fait du caractère volontaire de cet engagement, que seuls les salariés en état de consonance cognitif s’engagent. Notons enfin que si le nombre de salariés engagés est variable (de 150 à 26400), il peut ne pas être négligeable et suffire à créer une dynamique de changement orientée RSE. Enfin, il apparaît également que le nombre des salariés engagés persiste et croît sur cette période de trois ans. Une économie de coordination managériale : les ressources de l’engagement salarial La première économie vient du fait que les salariés s’engagent d’eux-mêmes sans qu’un effort sensible de persuasion ou de communication soit réalisé de la part du management. Cette économie inaugurale en génère d’autres. En effet, l’ensemble des actions décrites dans les rapports indique que ce sont les salariés qui sont porteurs de projets et/ou qui parrainent les projets d’autres communautés, notamment des associations. Ainsi, les salariés deviennent des leaders et des superviseurs de projets, rôles traditionnellement tenus par les managers. En jouant ces rôles, les salariés contribuent à la « professionnalisation » des parties prenantes de rôle également leur entreprise (fournisseurs, clients, communautés, clients), traditionnellement joué par les managers, généralement plus en prise avec l’environnement de l’entreprise. Dans tous ces cas, une partie de l’activité managériale de coordination des activités est déléguée aux salariés qui l’effectuent volontairement, quand ce n’est pas bénévolement. Un rapport IRH/ROI à suivre Un autre aspect peu évoqué dans le corps du texte doit être cependant pris en compte : il s’agit de l’économie financière réalisée dans le cadre de ce dispositif de transformation orientée RSE/DD. En effet, choisir des pratiques de mécénat pour orienter l’entreprise dans le sens de la RSE en s’appuyant sur l’engagement des salariés, c’est également faire le choix de répartir
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la prise en charge financière du changement de l’entreprise et de son adaptation à son environnement, entre l’entreprise et ses parties prenantes, principalement l’Etat (le mécénat donne lieu à de nombreuses et importantes déductions fiscales) et les salariés (au travers de leurs actions bénévoles voire du don de leurs revenus). A ce niveau également, les sommes investies sont variables d’une entreprise à l’autre (entre 1 et 8 millions d’euros) et pas toujours précisées quant à leur affectation : ainsi, par exemple, seule Air France KLM précise le montant exact dédié au mécénat de compétences (1.8 millions d’euros).
CONCLUSION
Economie de coordination ou nouveau mode de coordination ? Selon notre hypothèse, dans le cadre d’une « quête permanente d’adaptabilité » et d’un environnement mondialisé et changeant, la capacité des salariés à s’autoréguler face au changement permet, certes, une économie de coordination managériale. Cependant, le processus qui sous-tend cette approche par les ressources de l’engagement des salariés et le risque qu’il présente de dissonance cognitive chez certains salariés engendre de nouvelles responsabilités managériales. L’expert RH en gestion du changement ou le manager leader du changement (Ulrich, 1997; Cascio et al., 1999 ; Dolan et al., 2002) doivent désormais mieux prendre en considération ces nouveaux facteurs engageants dans leur gestion du changement. Si nos résultats vont dans le sens d’une validation de notre hypothèse, notre recherche présente des limites liées à notre approche méthodologique. En effet, les rapports DD des entreprises reflètent plus les axes de communication qu’elles privilégient que notre thème de recherche. Dans certains rapports, les structures dédiées, les actions menées et les montants alloués ne sont pas abordés de façon exhaustive, ce qui limite notre analyse. Cette étude empirique ne permet pas de mettre en exergue l’ensemble des facteurs favorisant l’engagement, et notamment l’accomplissement de soi. Il serait donc pertinent d’approfondir cette analyse en ayant recours à d’autres modalités de collecte des données. Notre étude contribue cependant à développer une voie de recherches peu explorée à ce jour par les sciences de gestion. Ainsi, selon Paillé (2003), l'engagement des salariés reste « la dimension oubliée du changement organisationnel ». Il s’agit donc de continuer à travailler notre hypothèse en prenant en considération les facteurs éventuels de contingence et en la complexifiant par l’analyse des interactions entre engagement individuel, impacts des changements dans l’équipe, membres de l’équipe et travail individuel (Fedor, Caldwell et Herold, 2006).
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Liste des cahiers de recherche du PRISM – ANNEE 2010
N° CR-10-01 CR-10-02
CR-10-03
CR-10-04 CR-10-05 CR-10-06 CR-10-07 CR-10-08 CR-10-09
CR-10-10 CR-10-11
CR-10-12
CR-10-13
Titre Vers une approche constructionniste de la valorisation de l’entreprise « Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice ! » Vers un repérage des leviers publicitaires influençant les enfants. Application au domaine alimentaire De la nécessité de prendre en considération simultanément les différents contextes sociaux des enfants pour comprendre leur comportement alimentaire La valeur économique du brevet « bloquant » Etude exploratoire sur l’effet des dimensions de la couleur des sites de marque sur les préférences des enfants Gestion tribale de la marque et distribution spécialisée : le cas Abercrombie & Fitch Le knowledge management et la communication financière de l’entreprise : principes, leviers et mise en œuvre The impact of social and environmental variables on performance: a panel data application to international banks Les relations entre la performance sociétale et la performance financière des organisations : une étude empirique comparée des banques européennes et des banques non européennes Le changement organisationnel des Entreprises Socialement Responsables (ESR) L’influence de la familiarité et de l’intérêt pour la catégorie de produit sur l’innovativité et le comportement innovateur du consommateur : une approche modérée par le bouche à oreille L'impact conjoint des variables situationnelles et individuelles sur les réactions du consommateur face à un nouveau produit: d'une étude exploratoire qualitative à un essai de modélisation Coordination, engagement et RSE au cœur de la quête managériale du changement perpétuel
Auteurs J.-J. Pluchart, L. Barbara P. Ezan, M. Gollety, N. Guichard, V. Nicolas-Hémar P. Ezan, M. Gollety, N. Guichard, V. Nicolas-Hémar A. Bami, G. A. Shiri H. Ben Miled-Chérif, N. Bezaz-Zeghache J.-F. Lemoine, O. Badot J.-J. Pluchart, S. Ayoub S.-E Gadioux S.-E Gadioux
J.-J. Pluchart, D. Gnanzou A. Sellami
A. Sellami
O. Uzan, B. Condomines
Datos
Les entreprises du XXIème siècle recherchent le changement organisationnel permanent en réalisant, selon notre hypothèse, des économies de coordination managériale en termes de persuasion et en déléguant aux salariés le soin de s’autoréguler face au changement. La question est alors de savoir quel type de conciliation s’opère entre les économies de coordination managériale, les ressources de l’engagement salarial et les risques de dissonances cognitives générées par ces pratiques managériales dans un contexte de « quête d’adaptabilité permanente » à un environnement mondialisé et changeant. Cette hypothèse nous paraît particulièrement pertinente dans le mode d’intégration de la dimension RSE/DD par les entreprises, en partie fondé sur l’engagement des salariés. Nous l’avons élaborée à la confluence de trois champs théoriques : celui du changement organisationnel, de la coordination managériale et de l’engagement des salariés. Au plan méthodologique, nous avons modélisé notre hypothèse avant de la tester sur un corpus relatif aux pratiques développées par les entreprises en matière de RSE/DD, telles qu’elles sont évoquées dans leurs rapports d’activité publiées en 2007, 2008 et 2009.